L’Afrique, terre d’expertise
Quand on parle d’Afrique, on traite rarement des enjeux assurantiels du continent, et pourtant c'est une chance à saisir et à partager. Tour d'horizon.
Quand on parle d’Afrique, rares sont les sujets qui traitent des enjeux assurantiels du continent. Pour remédier à cela, prenons de la hauteur avec quelques chiffres. L’Afrique représente 15% de la population mondiale pour seulement 1,5% du marché assurantiel. En moyenne, un Africain paie 70$ par an pour s’assurer contre 2700$ pour un Européen. Des disproportions qui se retrouvent sur le nombre de compagnies d’assurance présentes sur le territoire : 600 contre 5000 en Europe !
Alors, pourquoi porter notre attention sur le continent africain lorsque l’on sait que le taux de pénétration du secteur assurantiel n’est que de 0,75% du PIB (hors Afrique du Sud) contre 6,5% dans le monde ? Raison de plus pour vous répondre.
Un continent en devenir, un contexte à définir
De profondes disparités, aussi bien économiques que sociales, frappent les différentes régions du continent africain. Du Maghreb à l’Afrique australe en passant par l’Afrique centrale, de l’ouest à l’est, on ne vit pas de la même manière. Il en est de même pour les conjonctures assurantielles. Concentrons nous sur l’Afrique de l’ouest et l’Afrique centrale (en grande partie francophone) qui représente 1,7 milliards d’euros de primes en 2018 ! Comment définir cet écosystème ? Petit retour en arrière.
En 1992, l’industrie de l’assurance de 14 pays en Afrique de l’ouest et Afrique centrale décident de se regrouper au sein de la Conférence Interafricaine des Marchés de l’Assurance (CIMA). Celle-ci est alors régie par un code d’assurance contrôlée par une autorité commune, la Commission Régionale de Contrôle des Assurances (CRCA). En 2016, le conseil des ministres de chaque pays en charge des assurances appelle les sociétés d’assurance à porter leur capital social de 1 milliard de Francs CFA à 5 milliards de FCFA (soit 7,6 millions euros) avec une première étape à 3 milliards de FCFA en 2019.
Une seconde étape est à venir en 2021. Une réforme qui vise avant tout à répondre aux faiblesses du secteur des assurances de la zone avec ces excès d’acteurs trop petits. Une réforme qui a également pour objectif de limiter le dumping tarifaire, la réassurance excessive, la faiblesse des indemnisations et le manque d’innovation induit par une faible rentabilité. Nous sommes donc face à un secteur extrêmement hétéroclite, qui voit coexister des petites compagnies à capitaux familiaux, fragilisées par des fonds propres limités, et des mastodontes régionaux largement capitalisés.
En réponse, les acteurs du marché panafricain se regroupent afin de monter en puissance et gagner en efficacité face à ces contraintes amenant bien souvent à la fermeture d’assureurs locaux. Avec une croissance estimée à 3,4% contre 6,1% en Asie et 1,5% en Europe, l’Afrique a une chance, si les indicateurs le permettent, de combler certains déficits. Malheureusement, ces derniers sont nombreux. La situation sanitaire est souvent dramatique dans certains États. Les infrastructures de première nécessité (chemin de fer, usine, autoroutes) sont manquantes. En chiffres, ce déficit est estimé entre 130 et 160 milliards de dollars. Pour remédier à cette insuffisance logistique, de nombreux projets à fort enjeu ont vu le jour ces dernières années. En 2018, ce sont plus de 471 milliards d’investissement soit 50% de croissance par rapport à l’année précédente. Dans un continent en forte croissance investissant massivement dans les travaux structurants, l’expertise à un rôle à jouer pour couvrir les éventuels sinistres qui en découlent. Un rôle que nous partageons avec nos partenaires sur place.
Co-construire et partager l’expertise
Comment se déroule l’expertise en Afrique ? Cela dépend de beaucoup de critères comme la nature du sinistre, le lieu, l’enjeu et la compagnie d’assurance. Pendant de nombreuses années, la plupart des sinistres techniques ayant eu lieu sur le sol africain étaient traités par des sociétés d’expertises étrangères. Pourquoi ? Que l’assuré soit une société locale, assurée par une compagnie d’assurance locale, et forcement réassurée par une compagnie étrangère, ou que l’assuré soit une société internationale, assurée par une compagnie d’assurance étrangère, les compagnies peinent à trouver l’expert local pour traiter un dossier fort enjeu de bout en bout.
La raison ? Très peu de sociétés d’expertise multi spécialités sont installées dans les différents pays d’Afrique, exception faite du Maroc et de l’Afrique du Sud. Les experts sont majoritairement organisés en nom propre, spécialistes dans leur domaine de compétence. Ils n’ont donc ni les moyens ni les structures nécessaires pour se faire connaitre des compagnies d’assurance ou de réassurance étrangères intervenant dans leur pays. Assureurs comme réassureurs travaillent donc avec des cabinets d’experts internationaux multi spécialistes leur garantissant un respect des délais, des modèles de rapports attendus et des tarifs négociés. C’est sur ce terrain que l’échange de connaissances peut être mutuellement bénéfique.
Nous pouvons apprendre d’eux comme ils peuvent apprendre de nous. Les experts africains sont confrontés à des problèmes spécifiques au continent. L’expertise sur site varie selon les environnements et les moyens à disposition. En outre, comme les compagnies d’assurance locales, ces experts doivent être agrées dans chacun des pays où ils opèrent. Jusqu’à présent aucun de ces cabinets d’expertise n’avaient de filiales locales ou des partenaires associés dans différents pays d’Afrique. Au mieux, ils disposaient de correspondants au gré des dossiers. C’est dans ce sens que nous avons choisi de nous différencier pour construire notre modèle : co-construire un réseau international d’expertise pour l’Afrique en s’associant aux meilleurs experts dans leur domaine et leur pays. Un apport réciproque, pour faire face à une sinistralité différente dans un monde qui change.
A l’heure du coronavirus
Aujourd’hui et sur l’ensemble du continent, les chiffres témoignent d’une lente propagation du virus.
Comment l’expliquer ? Certains diront que les difficultés logistiques masquent l’ampleur des dégâts. D’autres se pencheront sur le passé de l’Afrique en termes d’épidémie et de démographie. L’Afrique est une population jeune où le taux d’obésité est bien inférieur à la moyenne mondiale. En 2014, alors que sévissait le virus Ebola, de nombreux Etats avaient déjà fermés les frontières afin d’endiguer la circulation du virus. Les mêmes mesures sont à l’œuvre aujourd’hui. La plupart des pays ont bloqués leurs frontières régionales. Au Maroc, le port du masque est obligatoire depuis plusieurs semaines. Cette denrée, si rare dans l’Hexagone, se trouve librement dans les supermarchés du pays. Dès lors, quels risques pour l’Afrique tandis que le monde subit de plein fouet l’épidémie de Covid-19 ?
Sans surprise, il s’agit principalement de l’impact économique. En décembre 2019, aux balbutiements de l’épidémie en Chine, des estimations de la Banque mondiale prévoyait la croissance de l’Afrique à 3,9% en 2020 et 4,1% en 2021. Entre temps, la moitié de l’humanité s’est confinée. Paru le 15 avril, un rapport du FMI considère désormais que l’Afrique va subir un recul de son PIB de 1,6% lors de l’année en cours. Seuls quatre pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Ouganda, Ethiopie) devraient connaitre la croissance, essentiellement due à leur secteur agricole. En partie dépendante des pays européens et de la Chine, les craintes des Africains s’articulent autour du manque de liquidités et de moyens pour faire face au déficit infrastructurel. Ajoutez à cela une forte dépendance au pétrole. De quoi assombrir l’avenir ou comment un continent en pleine croissance peut tomber en récession…
L’impact est tout aussi présent sur le monde de l’assurance. Pour autant, les sinistres ne cesseront d’exister. Il en est de même pour l’expertise dont le développement local s’appuiera forcément sur les nouvelles technologies. Avec le Covid-19, beaucoup de solutions numériques sont en train de devenir les normes de demain. Ces outils deviennent de plus en plus performants (e-learning, visio-conférence, télé-expertise…). Ce qui est sûr, c’est que le monde de demain ne sera plus le même.
Travailler en Afrique est une chance qu’il faut saisir et partager. Au quotidien, tous nos partenaires sont co-créateurs. Nous leur offrons notre petite avance sur le monde de l’assurance. Ils nous offrent leurs connaissances et leur savoir-faire spécifique qu’il convient de ne surtout pas sous-estimer pour améliorer et développer de nouveaux modes d’expertises. En l’absence de services parfois essentiels, nous nous adaptons aux différentes conditions pour restaurer la situation avant-sinistre. Nous nous réinventons ensemble.
En Afrique plus qu’ailleurs, nous sommes agiles !
Nicolas MAYET, Expert – Directeur Afrique