L’Asie, puzzle de l’assurance

On ignore beaucoup de choses sur l’Asie et ses subtilités assurantielles. Quelques articles par-ci, par-là relayés dans certains magazines spécialisés, sans que jamais ne soit abordé avec exhaustivité notre cœur de métier : l’expertise. Plus ou moins proche de nos pratiques européennes, l’expertise ou « loss adjusting » s’adapte au gré des cultures locales, des interlocuteurs et des enjeux. Un puzzle qu’il convient d’appréhender pièce par pièce.

Sous le feu des projecteurs de l’actualité, on ignore finalement beaucoup de choses sur l’Asie et ses subtilités assurantielles. Quelques articles par-ci, par-là relayés dans certains magazines spécialisés, sans que jamais ne soit abordé avec exhaustivité notre cœur de métier : l’expertise.

Plus ou moins proche de nos pratiques européennes, l’expertise ou « loss adjusting » s’adapte au gré des cultures locales, des interlocuteurs et des enjeux. Un puzzle qu’il convient d’appréhender pièce par pièce pour déterminer le rôle de chacun, leurs interactions et leurs besoins dans un continent en pleine croissance, impliqué de plus en plus dans les affaires mondiales.

Un marché en pleine croissance…

En guise de préambule, il n’existe pas de marché assurantiel asiatique à proprement parlé. Ils sont en réalité une multitude, différents les uns des autres en termes de maturité et de pénétration assurantielle. Dans le sillage de ce premier postulat, la Chine et l’Inde apparaissent comme des mastodontes depuis le début des années 2000. De nouveaux géants donc, qui jouissent respectivement d’une croissance estimée entre 13% et 15% par an, soit 150 milliards de dollars de primes pour l’Empire du Milieu et 25 milliards de dollars pour le Sous-Continent.[1] Des sommes faramineuses, résultat d’une croissance constante venue supplanter des marchés établis comme le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. A l’image d’autres nations émergentes comme la Malaisie ou l’Indonésie dont la croissance annuelle est estimée entre 4% et 8%, le taux de pénétration assurantiel en Asie connait aujourd’hui une croissance indéniable. Comment l’expliquer ?

Le développement économique des années 1990-2010 a fait émerger une nouvelle classe moyenne, dorénavant soucieuse de s’assurer, au même titre que ses biens et ses actifs. Quant aux entreprises asiatiques, manufacturières notamment, elles sont désormais pleinement exposées aux attentes des marchés mondiaux.

Toutefois, mondialisation ne rime pas avec uniformisation du continent. Au nord, de grandes compagnies d’assurance locales se disputent un marché qui s’ouvre timidement aux assureurs étrangers depuis 2018. C’est le cas en Chine, au Japon et en Corée du Sud. Une tendance libérale qui rappelle celle déjà à l’œuvre dans le sud-est du continent, en Malaisie, en Thaïlande ou encore en Indonésie. Des marchés moins matures au sein desquels les assureurs internationaux développent leur portefeuille et leurs activités en distribuant des produits d’assurance via des sociétés d’assurance locales : « les cédantes ». Au jeu de la réassurance, deux pôles hybrides tirent leur épingle du jeu : Hong-Kong et Singapour. Véritables hubs pour les assureurs du monde entier, chacune des deux villes est une rampe de lancement vers le nord ou le sud-est du continent. Le tout reste très intégré au marché des Lloyd’s, à Londres.

Qu’est-ce que le marché des Lloyd’s ? Un lieu où les affaires s’effectuent de gré à gré. Un lieu qui permet aux vendeurs (des assureurs proposant leurs garanties) de prendre contact avec les acheteurs (des courtiers travaillant pour le compte de clients avides de s’assurer). Apparaît alors un autre intervenant dans cet écosystème : le courtier. Il est très important car premier relai des clients dans leurs demandes de garantie. L’Asie en compte une multitude de petites tailles qui, une fois agrégés, détiennent une large part de ce marché prisé. Une opportunité pour les grands courtiers internationaux, à mille lieux d’un marché européen quant à lui saturé ? Quoi qu’il en soit, se dresse devant nous une zone géographique en pleine croissance qui laisse de plus en plus de place aux acteurs internationaux. D’autant plus aujourd’hui, à l’heure d’une actualité importatrice de nouveaux risques.

…aux prises avec une actualité dense

Hormis la COVID-19, un autre épisode politique a secoué le hub assurantiel de Hong Kong, avec un retentissement réel sur le marché local. Le 9 juin 2019, un million de personnes (selon les organisateurs) défilent dans les rues de la ville pour s’opposer au projet de loi chinois autorisant les extraditions vers le continent. Point de départ d’un mouvement de contestation qui a perduré tout au long de l’année 2019. Largement mis en sommeil par la pandémie, le mouvement de contestation est stoppé net, au cours du mois de juin 2020 suite à la promulgation de la loi sur la sécurité nationale par Pékin. Il n’en fallait pas moins pour que Washington, en pleine campagne électorale, annonce plusieurs mesures de rétorsion dont la fin de sa relation privilégiée avec la région administrative spéciale chinoise.

Sans surprise, ce climat agité renforce l’incertitude liée aux discussions commerciales déjà difficiles entre les deux grandes puissances. Un facteur supplémentaire, qui vient alimenter de nouvelles frictions géopolitiques en Asie du Sud-Est et impacter durement le marché local, notamment sur le volet de l’assurance.

Plusieurs segments assurantiels sont sévèrement touchés. C’est le cas par exemple de l’assurance vie mais aussi d’autres polices dédiées aux risques « spéciaux » comme les couvertures d’assurance liées à l’industrie de la culture ou du tourisme. Le premier voit déserter ses souscripteurs chinois venus acheter des polices d’assurance « off-shore » à Hongkong. De mauvais augure pour les assureurs, locaux comme internationaux, conscients des pertes si leur succursale continue d’être pénalisée. Quant au second segment, il est à l’image de notre période, suspendue aux évolutions de l’épidémie.

Avant la crise sanitaire existaient pourtant d’importants volumes de dossiers. Annulation d’événements culturels (expositions, concerts), productions audiovisuelles reportées… le secteur se retrouve désormais lourdement affecté. Non pas que les assureurs accusent des pertes mais cet immobilisme génère nécessairement moins de souscription car moins de sinistre. Et pour cause, une œuvre d’art ne peut être victime de dommage si elle ne bouge plus de son socle. Raison pour laquelle peu de polices d’assurance dédiées à cette typologie de risque ont été souscrites dernièrement. Dès lors, que reste-t-il pour les acteurs du secteur ?

Certains sinistres ne changent pas. Et pour cause, la topographie du continent est telle que les catastrophes naturelles continuent de ravager certains territoires année après année. Au Japon, typhons, ouragans et inondations sont monnaie courante pour cette population majoritairement assurée en conséquence. A l’inverse des Philippines, pays à l’ouest du Pacifique pourvu d’un tissu industriel moins dense que ses voisins et peu assuré. Si ces événements de grande ampleur ne peuvent être évités ou anticipés, il existe une autre typologie de sinistres à laquelle l’opinion publique reste particulièrement sensible en Asie : l’agro-alimentaire et les produits de grande consommation. Les raisons ? Une certaine culture de la perfection vis-à-vis du produit au regard de certains marchés et des consommateurs à l’exigence croissante. Ainsi, les campagnes de rappel ne sont pas rares, au risque parfois de se transformer en véritable scandale alimentaire comme ce lait à la mélamine écoulé en 2008 ou ces choux enduits de formol quatre ans plus tard en Chine. Les fournisseurs y sont de plus en plus attentifs et s’en prémunissent bien souvent avec une couverture en Responsabilité Civile Produit.

Un exemple parmi tant d’autres pour lesquels l’expertise est sollicitée. À la jonction entre Europe et Asie, quelques explications.

Deux cultures, une expertise

C’est l’une des spécificités d’un cabinet d’assurance internationale implanté sur plus de trois continents. Il reste intimement lié à son marché domestique. Au regard de l’écosystème décrit plus tôt, l’expert international est souvent mandaté par la police d’assurance « master », dans le cadre d’une assurance-groupe. Installés à Hong-Kong et Singapour mais aussi directement en Europe ou aux Etats-Unis, ces (ré)assureurs étrangers détiennent parfois 90% à 95% du risque de la police d’assurance de certains clients locaux, en Malaisie et en Thaïlande notamment. Une écrasante majorité qui leur confère une pleine autorité sur la gestion du sinistre. Ils sont alors libres de le confier à un cabinet d’expertise rompu aux lignes de spécialités concernées. Nous intervenons alors au nom d’un producteur européen mis en cause par un distributeur ou un client asiatique après constatation d’un défaut de fabrication ou de conception. Les sinistres sont donc variés. Quelques exemples pour illustrer le propos.

Plusieurs milliers de bouteilles de vin fabriquées en France sont exportées au Japon. Vendues en grande surface, plusieurs clients se plaignent de retrouver des morceaux de verre à l’intérieur. Ce qui implique donc une campagne de rappel. Autre exemple dans le milieu industriel où des machines produites et conçues en Europe puis intégrées dans des lignes de production chinoises à fort volume accusent de sérieux problèmes de performance. Missionné par un réassureur européen dans le cadre d’une RC produit ou après livraison, l’expert se déplace alors pour rencontrer les différents lésés et ainsi procéder aux premières inspections techniques : matérialité des dommages, performance du produit, inventaire pour contrôler les volumes…

Devant ses interlocuteurs, l’expert implanté en Asie fait valoir sa double-culture européenne et asiatique. Une force qu’il couple à un grand sens de la pédagogie quant à la marche à suivre. La maturité assurantielle des marchés locaux est faible. De fait, la plupart des lésés ne comprennent pas forcément les étapes et les objectifs de l’expertise. Les réunions s’effectuent donc en chinois, en japonais ou en en anglais, au même titre que les négociations où domine la culture de l’amiable et du compromis. La solution commerciale étant souvent demandée par le lésé avant même que la matérialité des dommages ne soit établie. Des contextes culturels uniques pour autant de particularités locales que nous faisons nôtre afin de proposer des approches adaptées à l’ensemble de nos spécialités, de la fraude interne comme externe au Fine-Art, des technologies de l’information au cyber.

Dans ce continent puzzle, aux multiples spécificités culturelles et linguistiques, l’expert fait également appel à son réseau de partenaires locaux pour l’accompagner et ainsi co-construire une expertise intercontinentale, entre Europe et Asie. Au sein de ce réseau, l’expert revêt alors une autre casquette, celle d’un chef de projet assurant la liaison entre les parties asiatiques et les assureurs européens. Ce mode projet est un élément différenciant dans la région. Outre les experts locaux et leur valeur ajoutée, des audits de sécurité peuvent être réalisés par nos consultants partenaires, véritables spécialistes du conseil et de la prévention pour les clients des assureurs et des courtiers : institutions financières, aéronautique, maisons de luxe, grossistes… Autant de secteurs d’activités pour une offre globale et une méthode agile qui s’évertuent à répondre à tous les besoins, à hauteur des enjeux de chacun, en amont ou en aval d’un sinistre.

L’Asie est un continent majeur dans l’économie globale, doté de multiples facettes qu’il convient d’appréhender avec humilité. Trop souvent méconnues de l’Occident, les caractéristiques et subtilités culturelles de chaque pays génèrent parfois des lenteurs dans le processus assurantiel et des frustrations nombreuses pour toutes les parties prenantes, de l’assuré à son client en passant par les assureurs. La fluidité de communication entre intervenants locaux et donneurs d’ordre internationaux est donc primordiale. Elle nécessite de s’ancrer localement à travers son réseau mais également de développer une réelle agilité relationnelle au regard de cultures diverses et variées.

Timothée GRANGE – Expert – Directeur Asie-Pacifique

Stelliant Expertise


[1] Making the Most of Asia-Pacific’s Insurance Boom : The region offers huge opportunites for insurers, but the rules of engagement are rapidly changing, Bain & Company

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