Une marchandise à la mer

Avec 90 % de marchandises transportées par voie maritime, l'expert intervient dans une perpétuelle urgence pour limiter les conséquences économiques.

La majorité des marchandises circulant dans le monde sont transportées par voie maritime. Les chiffres sont d’ailleurs sans équivoque. Avec un marché estimé à près de 2 000 milliards d’euros pour l’année à venir, le transport maritime représente plus de 90% du commerce mondial en volume. De la marchandise en conteneurs sur le pont, aux colis lourds en fond de cale, du vrac liquide au solide, la sinistralité en milieu maritime est omniprésente. 

Dans ce contexte où les marchandises font sans cesse le tour du monde, comment expertiser dans cet écosystème ultra-mondialisé ? Pour y répondre, prenons le large.

Ad Valorem

Comprendre le rôle de l’expert, c’est appréhender le monde dans lequel il évolue. A cet effet, il est indispensable d’établir ici le cadre assurantiel. De l’importateur au destinataire de la marchandise, l’ensemble des acteurs de la chaine de transport maritime sont soumis à des limitations de responsabilité. Comme des plafonds conventionnels aux différents contrats de transports pour protéger les transporteurs. En accord avec les Conventions de Wisby et de La Haye, leur limite de responsabilité est fixée à 2 Droits Tirage Spéciaux (DTS) par kilo transporté. En clair, si un conteneur de cinq tonnes tombe à l’eau dans le cas d’une perte totale, le transporteur maritime devra rembourser une somme avoisinante les 12 000€ (soit 2 DTS x 5 000 kilos).  

Or, il est peu probable que notre conteneur de cinq tonnes ne valait que 12 000€. Le propriétaire de la marchandise se retrouve dans l’incapacité de récupérer la valeur perdue auprès du tiers responsable. Il se tourne donc vers son assureur. A l’échelle du globe, les compagnies d’assurance ont mis en place des polices ad valorem pour couvrir les pertes à hauteur de la valeur des marchandises. Que ce soit l’importateur ou l’exportateur, tous souscrivent à cette assurance maritime. Prenons un exemple. 

Un exportateur sud-américain arrime plusieurs tonnes de crevettes surgelées dans un navire à destination de la France et du port du Havre. Arrivée sur la côte normande, des équipes vétérinaires inspectent la marchandise. Ce qui leur permet de constater que la température est supérieure aux -18°C réglementaires. Les crevettes sont déclarées non-conformes et bloquées sous consigne. Après analyse approfondie dans les 48 heures, la marchandise est libérée dans le meilleur de cas ou bloquée définitivement avec une notification de refus d’introduction sur le territoire européen. Lorsque le propriétaire accuse réception de ce refus, des experts peuvent intervenir sur demande de l’assureur. A l’issue de l’expertise, il s’avère que les colis ont été déposés de telle sorte qu’ils ont bloqués la sortie d’air froid. Pour l’assureur, cette méthode de chargement inadéquate n’est pas une avarie propre au transport mais au chargement du conteneur. Après retrait de l’assureur, il appartient à l’acheteur de faire un recours auprès de son vendeur en cas de paiement en avance. Nous allons le voir. Chaque sinistre est différent.  

Du froid au sec

Les crevettes ne sont qu’un exemple parmi tant d’autres. Toutes sortes de marchandises font le tour du monde en ce moment même. Pour chacune d’entre elles, des risques et des sinistres spécifiques. Des risques donc des procédures que tout acteur du transport maritime doit connaitre afin de prendre les mesures conservatoires qui s’imposent, qu’il soit à l’origine ou non du sinistre. Petit exemple. Un transporteur reçoit un conteneur réfrigéré le lundi, mais ne se rend compte de son dysfonctionnement que le vendredi. Ses obligations lui incombent d’informer son donneur d’ordre sur les risques d’avarie. Dès lors, l’expert intervient sur demande du mandant. En moyenne et suivant les retours d’expertise, environ 40% des avaries concerne des conteneurs dry ou non réfrigérés. Un autre pan estimé également à 40% s’articule autour des conteneurs à température dirigée. Quant aux 20% restants, ils traitent principalement des colis lourds, des dommages durant des opérations de manutention ou de la pollution sur le vrac.  

Quelques détails sur l’objet même de notre expertise : la marchandise. Réfrigérée, sèche, tempérée, lourde, chacune dispose de spécificités. Commençons par le transport de marchandises sous température dirigée. Toute une logistique est mise en place pour acheminer des cargaisons qui doivent répondre à des conditions particulières de température. On ne stocke pas de la même manière des produits cosmétiques, pharmaceutiques (+20°), des produits frais (+2° à +5°) et des surgelés (-18°). Ces prérequis indispensables à la préservation de la marchandise ne masquent pas les erreurs d’indexation possibles, en l’occurrence régler une mauvaise température. Cette inattention d’origine humaine aboutit souvent sur la destruction totale de la marchandise. Bien que les conséquences soient les mêmes, la cause diffère pour le dry. Bien souvent, il s’agit de sinistres sur conteneurs percés où l’eau s’est infiltrée. La marchandise arrive mouillée et s’avère donc inutilisable. Ce n’est pas tout.  

Voguer sur les flots autour du monde à bord d’un navire de près de 10 000 tonnes n’est pas de tout repos pour l’équipage à bord. Il en est de même pour les marchandises arrimées. Les incidents de désarrimage sont nombreux. Des produits bougent et se cassent. Pour le colis lourd, des heurts de manutention impliquant des machines industrielles peuvent littéralement multiplier le prix des indemnisations à plusieurs dizaines de milliers d’euros. Dans le cadre de dossiers à fort enjeux, l’expert doit établir les séquences exactes lors du transport afin de déterminer la ou les causes concomitantes du sinistre. Face à des marchandises périssables, des frais d’immobilisation onéreux, c’est dans l’urgence que l’intervention de l’expert est plébiscitée. 

Intervenir dans l’urgence

Dès la prise de mission, l’expert doit savoir juger et prioriser les missions et les courriers à effectuer. Un navire en avarie immobilisé coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros. Dans sa cale, des marchandises sont en train de périmer. Dans le cadre d’une intervention ad valorem, l’expert est à l’initiative de toutes les opérations d’expertise. Il contacte directement l’importateur ou le commissionnaire si ce dernier est celui qui a souscrit au contrat. Après avoir pris connaissance de l’ensemble des acteurs du transport, il se renseigne auprès des services vétérinaires et de l’entrepôt où se trouve le conteneur immobilisé. C’est uniquement à ce moment que les premières convocations sont envoyées. Les dossiers de sinistres en transport maritime ne sont pas soumis aux délais de 21 jours prévus par les conventions. L’expert décide. De quoi mettre du rythme dans des dossiers où le temps est précieux.  

L’expert peut donc convoquer les opérateurs mis en cause dans la journée, quitte à se faire accompagner d’un huissier pour les plus récalcitrants. L’objectif est de garder ce caractère contradictoire et ainsi émettre les premiers constats. L’horloge tourne et les coûts augmentent. Entre le coût initial du sinistre et les mesures de sauvegarde, l’expert n’a pas le droit à l’erreur. Il s’affaire donc à déployer un réseau de sauvetage étendu et efficace. Ces spécialistes sont indispensables pour sauver un maximum de marchandises. Avec ça, l’espoir que ce sinistre estimé à 20 000€ ne se transforme pas en 100 000€. Cela oblige à confronter les propriétaires, parfois convaincus que ce tri est inutile sous prétexte d’être couverts par leur assurance. Et pourtant, un des principes même du contrat de transport maritime est qu’il appartient toujours au propriétaire des marchandises de minimiser son préjudice et jamais à un tiers. L’expert doit toujours se concentrer sur l’aspect technique et réglementaire. Par sa connaissance du milieu et des obligations de chacun, il apporte sa plus-value.  

Cela peut passer par de la prévention. Il arrive que l’expert intègre dans son rapport tout un paragraphe sur les mesures préventives à prendre suivant la récurrence de certains sinistres. De l’augmentation des contrôles durant le transport à des plans d’arrimage et de chargement, l’expert doit proposer des solutions corrélées à la réalité financière et commerciale des transporteurs dont les marges restent limitées en temps normal. En effet, la crise que nous connaissons actuellement est un véritable coup de frein pour le transport maritime. Plusieurs jours de transport sont perdus. De quoi provoquer nombre d’avaries. 

C’est une phrase connue de tous : « Plus le navire est grand, plus le risque est grand ». La réalité s’avère bien plus compliquée du point de vue de l’expert. Ce dernier opère dans un contexte macro-économique mondialisé où chaque acteur du transport répond à des obligations légales, de l’acheteur au vendeur en passant par le transporteur. C’est dans une perpétuelle urgence que l’expert intervient afin de limiter les conséquences économiques et financières sur l’ensemble de cette chaîne. 

Nicolas CHAUVIN

Expert Automobile & Transports

TGS x GM Consultant – Groupe Stelliant

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