L’assureur face aux conséquences d’un incendie volontaire
L’incendie criminel implique de lourdes conséquences juridiques et financières pour une compagnie d’assurance. Des clauses d’exclusion dans les polices d’assurance permettent de les limiter lors d’incendie volontaire. Mais quelle est la portée de ces exclusions sur des propagations non maîtrisées par l’incendiaire. Enquête croisée de Maître Lepoutre du cabinet HFW et de Nicolas Patris notre expert Incendie RCCI.
Une enquête autour de l’acte criminel
En matière d’investigation post-incendie, l’analyse des signes objectifs permet assez facilement de démontrer qu’une origine n’est pas accidentelle : présence de plusieurs foyers primaires, absence de source d’ignition sur la zone de départ, détection d’accélérant, propagation anormalement rapide de l’incendie…
D’autres éléments peuvent également alerter l’expert dans ses investigations :
- L’heure du départ : la grande majorité des incendies volontaires ont lieu entre 22h et 6h.
- La localisation du point d’origine :
- Des circonstances inhabituelles : Imprudence grave ou anormale, absence de traces des biens déclarés sinistrés, absence d’effraction…
Toutefois, même si l’intervention d’un enquêteur privé peut permettre d’apporter un faisceau d’indices supplémentaires, il reste souvent très compliqué de prouver avec certitude l’identité de l’auteur d’un incendie.
Or les incendies volontaires, ont des conséquences financières importantes notamment parce que l’incendiaire recherche la destruction totale d’un bien. On estime généralement qu’un incendie volontaire a un coût dont le coefficient est 2 à 3 fois supérieur à un incendie d’origine accidentelle, notamment parce que l’utilisation d’accélérant rend souvent incontrôlable la propagation des flammes.
Une jurisprudence défavorable aux assureurs
Il devient alors délicat pour les assureurs d’accepter d’être condamnés à prendre en charge les conséquences d’un incendie volontaire notamment lorsque leur assuré avait, certes, volontairement et intentionnellement mis le feu, mais n’avait pas voulu causer des dommages d’une telle gravité.
Par un arrêt en date du 8 mars 2018 (Cass., civ. 2, 8 mars 2018, n°17-15143), la Cour de cassation a réitéré cette jurisprudence très défavorable aux assureurs. Dans cette affaire, un assuré avait volontairement mis le feu à son débit de boissons. Le feu s’était ensuite propagé dans d’autres commerces et biens attenants. L’assureur du débit de boissons, qui était parvenu à surmonter l’obstacle de la preuve en démontrant que l’assuré avait volontairement utilisé des substances explosives pour procéder à la destruction du débit de boissons, a demandé à être déchargé de toute obligation de garantie sur le fondement de la faute intentionnelle et/ou de l’absence d’aléa. La Cour de cassation ne l’a pas suivi. Elle relève certes que l’assureur avait visé l’article L113-1 alinéa 2 du code des assurances qui dispose que » l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré ». Elle a aussi noté que le contrat d’assurance « multirisque commerces » souscrit par l’assuré stipulait que sont exclus « les dommages causés intentionnellement par le sociétaire ou toute personne assurée, ainsi que les dommages provoqués avec leur complicité« , mais aussi que sont exclus « les dommages dont le fait générateur n’aurait pas un caractère aléatoire ». Pour autant, la Cour de cassation conclut qu’il n’est pas démontré que l’assuré avait, en l’espèce, « eu la volonté de créer le dommage tel qu’il était survenu« .
De ce fait, alors que l’incendie était volontaire, l’assureur a été condamné à garantir les dommages subis par les biens voisins, car il n’était pas démontré que l’assuré avait également voulu la destruction de ces biens.
Cette jurisprudence n’est pas nouvelle. Elle avait encore été récemment appliquée dans le cadre d’un incendie de parking où une femme avait mis le feu au véhicule de son ex-compagnon (ce qui était volontaire), mais n’avait apparemment pas anticipé que le feu se développerait et causerait des dommages importants à la structure du parking. En conséquence, son assureur a été condamné à garantir les dommages subis par l’exploitant du parking (Cass., civ. 2ème, 29 juin 2017, n°16-12154).
Certains assureurs ont alors intégré, dans leurs contrats d’assurance, une clause d’exclusion de garantie élargissant la notion de faute intentionnelle. Elle comprendrait « les dommages de toute nature causés ou provoqués intentionnellement par l’assuré« . Les dommages « causés » par l’assuré seraient les dommages volontairement causés par ce dernier et les dommages « provoqués » par l’assuré seraient ceux résultant de l’incendie volontaire, mais qui n’étaient pas souhaités à l’origine par l’assuré qui seraient donc la conséquence de la propagation non maîtrisée de l’incendie.
Dans un arrêt du 12 juin 2014, la Cour de cassation s’est prononcée sur ces clauses et a estimé qu’elles étaient dépourvues d’un caractère formel et limité et ne pouvaient donc pas être opposées au tiers victime (Cass., civ. 2ème, 12 juin 2014, n°13-18844, Responsabilité civile et assurance n°10, octobre 2014, comm. 321).
Il est donc nécessaire que les assureurs se re-penchent sur leurs contrats d’assurance et proposent de nouvelles rédactions des clauses d’exclusion portant sur les dommages résultant de la propagation d’un incendie volontaire, mais non maîtrisé.
Maître LEPOUTRE, Avocat dans le cabinet HFW
Nicolas PATRIS, Expert Responsabilité Civile spécialité Rappel de Produits