Ferroviaire : changements de paradigme et impacts assurantiels

Depuis janvier 2020, en réponse à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs, l’entreprise ferroviaire publique française a dû réorganiser ses différentes entités. Bien que la circulaire N°3/2021 du 22 juillet 2021 relative au "protocole d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers à des biens ferroviaires" a pour objet de clarifier la situation, le rôle de chacun et les coûts inhérents provoqués à la suite d’un sinistre sont floutés. En effet, nous nous retrouvons dorénavant en France avec plusieurs acteurs qui peuvent être la cible de sinistres : le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire (voies, alimentations, signalisations, passages à niveaux, etc.) et les entreprises qui bénéficient de ces infrastructures. Tour d'horizon sur cette évolution réglementaire impactant le monde de l'assurance ferroviaire.

Un monde assurantiel généraliste pour un risque ferroviaire spécifique

Aujourd’hui, compte tenu de la multiplicité des acteurs, chaque filiale concernée de façon individuelle, réalise une réclamation distincte auprès de l’assureur mandaté. Bien souvent généraliste, ce dernier n’est  pas toujours au fait des rouages assurantiels spécifiques au monde du ferroviaire. La plupart du temps, les compagnies d’assurance mises en cause sur ce type de sinistre assurent un risque non lié au ferroviaire, comme par exemple : un arbre qui tombe sur une voie ferrée et qui appartient à un particulier ou une entreprise, un conducteur qui franchit un passage à niveau ou encore une entreprise de travaux publics qui provoque des dommages sur des câbles lors de travaux de voiries. 

Un impact opérationnel sur des risques fréquents

Opérationnellement, avec ce changement de paradigme, nous assistons à une complexification de la gestion des sinistres car les différentes sociétés ont très peu d’interactions.  Avant cette réorganisation, les réclamations en cas de sinistre étaient formulées par des Pôles Assurance Dommages qui géraient l’ensemble du préjudice subi par les différents Etablissements Publics à caractère Industriel et Commercial (EPIC).  Désormais, un assureur peut être amené à recevoir plusieurs réclamations distinctes

En cas de sinistre une première réclamation peut être effectuée par une des filiales de l’entreprise ferroviaire publique, n’attirant pas particulièrement l’attention de l’assureur par son faible montant ou la banalité du sinistre. Mais y répondre favorablement ne signifie pas pour autant qu’il s’agira de la seule ; il peut y avoir potentiellement d’autres réclamations plus importantes. Pour exemple, dans le cas d’un choc entre un véhicule et un train sur un passage à niveau, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire réclamera les dommages occasionnés aux barrières et l’entreprise ferroviaire les dommages ainsi que l’immobilisation du matériel roulant. 

Autre exemple :  un arbre tombe sur une voie ferrée, entraînant des dommages. Une problématique très fréquente et faisant régulièrement l’objet de réclamations. Tout d’abord, l’assureur en Responsabilité Civile reçoit une mise en cause, de la part du gestionnaire de l’infrastructure, faisant suite à la chute sur une voie ferrée de l’arbre appartenant à l’un de ses assurés. Avec cette évolution réglementaire, il est possible que plusieurs mois plus tard, la compagnie d’assurance reçoive, une réclamation de la part l’entreprise ferroviaire pour le même sinistre.  

La réclamation du gestionnaire des infrastructures pourrait être d’un montant d’un plus faible enjeu et la compagnie d’assurance l’acceptera plus « facilement », sans réaliser d’étude poussée. En effet, même si l’implantation de l’arbre n’est pas toujours positionnée sur le terrain adjacent à l’emprise du gestionnaire d’infrastructures, ce dernier a tout de même des obligations, notamment sur le contrôle de la végétation aux abords des voies. La compagnie d’assurance, pourra donc recevoir quelques temps plus tard une nouvelle réclamation pour le sinistre qu’elle pensait résolu avec un montant, cette fois-ci, à très fort enjeu de la part de l’entreprise. Cette réclamation intègre principalement les frais de remise en état de la rame, ainsi que son immobilisation. Aucune absence de mesure conservatoire ne pourra être reprochée à l’entreprise dans cette situation, celle-ci ayant adressé une mise en cause, conforme au « protocole d’évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires ». 

Bénéficier d’une connaissance fine du monde ferroviaire

Dans ces situations, il est indispensable pour la compagnie d’assurance de bénéficier d’experts qui conjuguent réactivité, notamment pour accéder à l’ensemble des pièces et leurs dommages, ainsi qu’une connaissance fine du milieu ferroviaire, pour avoir de bons réflexes. Comme par exemple la mise en place d’une instruction dès réception de la déclaration, pour vérifier rapidement et tant qu’il est possible que la responsabilité de l’assuré eût bien été engagée ; si nous suivons notre exemple, confirmer que l’arbre était bien implanté sur la parcelle assurée.  

Cette même instruction permettrait d’examiner la rame avant sa remise en service afin de maîtriser les coûts liés à sa réparation ainsi qu’à son immobilisation. En effet, le protocole prévoit que les pièces remplacées ne doivent être conservées qu’un an seulement. Néanmoins, dans la grande majorité des cas, les experts sont missionnés dépassé ce délai, ce qui rend impossible la réalisation des constats.

Lorsqu’un sinistre ferroviaire se déclare, la compagnie d’assurance doit pouvoir compter sur un expert spécialiste du ferroviaire, qui aura comme rôle de concilier les attentes de l’assureur ainsi que celles des différents assurés impactés. Il est également garant de la bonne application du protocole pour toutes les parties.  Avec des connaissances fines du milieu ferroviaire, l’expert est en capacité : 

  • D’identifier plus facilement les possibilités de renvoi ou recours. 
  • De suivre les coûts de remise en état. 
  • D’identifier les différents intervenants du monde ferroviaire et leurs interactions. 

 

L’opération de privatisation de l’acteur historique français du marché ferroviaire ouvre la porte à de nouvelles problématiques qui n’étaient jusqu’alors pas identifiées. Même si la détention privée ou public du capital n’a pas grand-chose à voir avec les prix, la qualité ou encore la fiabilité du service de trains, cette réorganisation juridique entraîne de nouveaux processus assurantiels à co-construire entre experts, assureurs et entreprises. 

Nicolas Chauvin 

Expert Risques Industriels 

Stelliant Expertise 

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