L’enjeu écologique, un argument béton
L’homme est un bâtisseur. Au gré des siècles, il a su tirer profit de son environnement pour se construire un toit et ainsi se prémunir des saisons. De la terre cuite au bois en passant par la pierre, nous sommes passées au fer, à l’acier et au béton. Comment s’assurer du bon recyclage des matériaux mis à terre ? Réponses d’experts.
S’affranchir pour mieux construire
Ce n’est que tardivement que notre pays s’est penché sur la consommation en énergie des bâtiments. Revenons en 2009, date du Grenelle de l’environnement. À cette occasion, se réunissent autour d’une même table représentants de l’Etat, collectivités locales, ONG, entreprises et salariés pour répondre à cette simple question : comment limiter notre empreinte carbone ?
Des chantiers sont lancés pour les années à venir, notamment sur le volet de la construction et de l’urbanisme. Plus d’énergies renouvelables, photovoltaïques comme éoliennes, moins de matériaux non-recyclables. Des promesses ? Difficile à dire lorsque l’on constate l’unité de temps du sablier politique. En 2016, le Parlement Européen plébiscite, par directive, de nouvelles mesures concernant l’élimination des produits dangereux, la recherche de matériaux de construction alternatifs et surtout, l’amélioration du tri à la source lors des démolitions. Nous sommes en 2020 et l’objectif de la Commission Européenne en matière de recyclage des déchets du bâtiment s’élève désormais à 70%.
Pas d’inquiétude, la France est dans la moyenne. Pour autant, elle ne siège pas en haut du classement. Et pour cause, dans les années 1970, le choix a été fait de capitaliser sur l’agrandissement de notre parc nucléaire, devenant in fine le seul fournisseur d’électricité dans l’Hexagone. La consommation et le coût de l’énergie augmentent, au même titre que les émissions de gaz à effet de serre. Le virage des énergies renouvelables est manqué, derrière nous, emprunté massivement par les pays scandinaves pour les décennies à venir. Un choix qui se ressent également sur le pan de la construction où les maisons en bois de leurs habitants rejettent très peu de CO2. Deux régions d’Europe, deux manières de construire pour les particuliers. L’une avec des matériaux alternatifs, bio-sourcés comme la paille, le bois ou la chaume. L’autre avec du béton, dans la plus grande tradition française.
Une tradition qui remonte au Second Empire (1852-1870) lorsque Joseph Monier, jardinier de son état, invente le béton armé en 1867. Du sable, de l’eau, des graviers et du ciment sont les quatre éléments nécessaires à son élaboration. Des ressources dont la France est pourvue, exception faite du ciment qui requiert une haute-température lors du mélange de ses différents agrégats (calcaire, argile, sable). Qui dit haute-température dit consommation d’électricité. Le béton armé n’est donc pas neutre mais il est rentable, solide une fois renforcé par de l’acier.
Pas assez selon Eugène Freyssinet, ingénieur français et père du béton précontraint (ou précontrainte) en 1933. Selon lui, il faut positionner dans le béton des câbles à des endroits précis afin de pallier à la faiblesse de celui-ci, notamment lors des efforts de tractions. Dans le cas de poutres droites préfabriquées par exemple, ces câbles pourront être tendus avant coulage (pré-tension) ou après-coulage (post-tension), dans le cas de planchers complexes.
« Le béton » est donc éprouvé par des décennies d’usage quotidien mais qu’en est-il de son impact environnemental ? Outre le sable et l’eau, deux ressources primordiales, un béton qui vieillit est un béton sujet à la corrosion (de ces câbles) et l’altération dans le temps. De fait, comment recycler le béton et ces matériaux de second œuvre ?
Démolir ou déconstruire pour recycler ?
Avant de parler de recyclage des matériaux et du béton, il est nécessaire de réfléchir au sort du bâtiment sinistré. Bien que la réparation reste la solution privilégiée de l’expert, deux autres s’offrent à ce spécialiste du bâtiment : la démolition ou la déconstruction. Chacune s’ancre dans son époque, avec ses risques mais également ses méthodes d’exécution. Par exemple, la démolition est coûteuse. Elle implique la mobilisation d’engins de plusieurs tonnes pour mettre à terre la construction, du bulldozer à la pince de démolition en passant par le boulier… Des engins eux-mêmes sujets à une sinistralité significative, couverte par la garantie bris de machine lorsque souscrite. A défaut de détériorer le matériel de destruction, l’effondrement d’un bâtiment comporte des dangers d’ordre environnemental.
Avant 1997 et son interdiction pure et simple, l’amiante était utilisée comme un isolant thermique et phonique, en raison de sa nature fibreuse et de son faible coût. Interdite certes, elle n’en demeure pas moins présente dans nombre d’habitations antérieures aux années 1990. Lors d’une démolition, l’amiante peut alors se disperser dans les airs, se déposer au sol, se diffuser dans l’eau, voire même s’accrocher à l’ossature chancelante du bâtiment. Un risque qui implique donc la plus grande prudence, au même titre que d’autres pollutions éventuelles comme un tuyau percé déversant son contenu dans les nappes phréatiques par exemple.
Radicale, la démolition n’est désormais plus la solution plébiscitée du 20ème siècle. On lui préfère aujourd’hui la déconstruction, non sans logique. Celle-ci est méthodique.
Outre l’expert, elle mobilise un bureau ou plusieurs bureaux d’étude pour estimer la viabilité du projet et définir un plan de traitement des déchets. C’est la raison pour laquelle s’effectue d’abord le curage : un démontage systématique du second œuvre avant déconstruction. Un moyen de prévenir les risques de chutes, les projections de verre et inspecter les matériaux sur leur teneur en amiante. Introduction faite, place à la déconstruction. Elle s’effectue logiquement par le haut, à l’aide de mini-engins télécommandés de plusieurs tonnes capables d’accéder à des endroits inaccessibles. Petit à petit, ils grignotent le bâtiment jusqu’à une hauteur suffisante pour que les pelles lourdes armées de godets, les BRH (brise-roche hydraulique) et les pinces hydrauliques se chargent du reste. A l’instar de la démolition, les poussières sont absorbées par arrosage. A l’inverse cependant, la déconstruction, progressive par essence, permet de trier plus facilement les débris dans des bennes dédiées pour être valorisées si possible. C’est le point de départ de la chaine du recyclage.
De tous temps, l’homme a su recycler la pierre. Mais qu’en est-il du béton ? Ce dernier passe par des concasseurs et des cribleurs qui s’emploient à le démolir. Une source de sinistralité puisque ces machines industrielles ne sont pas à l’abri d’un bris. L’une des raisons ? Les bétons sont tous ferraillés. Du fer de bon état, corrodé en surface mais non en interne, à la différence de celui employé dans des structures exclusivement métalliques. Un bon point lorsque l’on constate également que 80% du béton est recyclé en France. On récupère du gravier, du sable afin de constituer des sous-couches routières destinées à la pose de bitume par exemple. On peut également recycler ce gravier et ce sable dans la fabrication d’un nouveau béton. Sauf que 80% de recyclage, ce n’est pas 100%. Les 20% restants terminent dans des décharges à ciel ouvert ou enfouis sous terre.
De la démolition à la déconstruction, du recyclage aux pollutions potentielles, l’expert doit être en capacité d’intervenir sur l’ensemble de la chaine.
L’expert, promoteur d’une gestion clé en main
Avant de démolir quoi que ce soit, l’expert a pour obligation de constater les dommages et juger si ces derniers sont réparables. Les réparations peuvent être multiples. De simples renforts d’acier à des injections dans les fondations, l’expert est force de propositions. Et pour cause, rares sont les sinistres totaux sur cette typologie de dossier. Face à un ouvrage éventré, l’expert s’attèle en premier lieu à comparer les scénariis. C’est là sa plus-value. Doit-on soigneusement renforcer et réparer ou simplement démolir et reconstruire en accord avec le planning ?
Un dilemme que l’expert résout à l’aide de ses compétences techniques et financières mais aussi au contact de plusieurs bureaux d’études et d’économistes du bâtiment. Il formule alors des propositions concrètes, réalisables et consciencieuses vis-à-vis des coûts et des délais. Une prestation clé en main, résultat d’un travail minutieux tout au long de l’expertise.
En présence d’amiante, l’expert missionne un bureau d’étude spécialiste pour l’accompagner face à ce risque parfois inconsidéré. Prenons l’exemple de cette tour de logements près de Toulouse où 1/1000 du bâtiment était infestée d’amiante. Cette unité de mesure n’est pas explicite ? Cela représente plus de 40 tonnes ! Un risque écologique d’ampleur qu’il convient de ne surtout pas sous-estimer lors d’une intervention sur site. Dans cette optique, des mesures conservatoires sont appliquées pour protéger l’environnement de toute pollution.
A ces mesures viennent s’en greffer d’autres, d’ordre financier. L’expert s’évertue à chercher des solutions palliatives à la perte d’exploitation des sociétés présentes. Il intègre donc des paramètres techniques, calendaires et des choix stratégiques adaptés à la réalité financière du dossier. Spécialiste du bâtiment, il participe également au montage d’une équipe pluridisciplinaire pour les réparations potentielles. Quand celles-ci sont inenvisageables, il suit la démolition ou la déconstruction afin d’anticiper tous risques inhérents.
L’expert est au carrefour de plusieurs interlocuteurs, sinistrés comme responsables, assureurs comme prestataires. Tous alimentent sa vision croisée de cet environnement et de son écosystème. Force est de constater que le milieu de la construction est en passe d’évoluer vers plus d’éco-responsabilité. Une sorte de green washing matériel, du béton à l’isolation. L’épaisseur du premier peut être réduite d’un tiers avec la technique de la post-contrainte, un plancher avec coffrage traditionnel où les câbles en acier seront mis sous tension dès lors que le béton est coulé. Quant à l’isolation thermique, elle est aux prises avec des matériaux écologiques existants comme la laine de bois, de coton, de liège ou de chanvre… Un bâtiment moins lourd et bien isolé est un bâtiment optimisé, respectueux de l’environnement.
En définitive, du travail reste à accomplir pour limiter l’impact de l’urbanisme. Les solutions se multiplient, notamment avec l’arrivée de nouvelles technologies. Des prototypes de bétons biodégradables sont à l’étude, élaborés à partir de résine industrielle et de ciment écologique. On réfléchit aussi à la végétalisation sur la voirie, des routes et des toits de couleur claire pour limiter l’impact de la chaleur. Autant de solutions pour une seule et même ambition : réduite notre impact en CO2, consommer moins mais construire propre. Une hypothèse à laquelle l’expert se prépare, afin de toujours trouver la solution réparatoire la plus adaptée aux enjeux de son temps.
Patrick LUBSZYNSKI – Expert Matériel et Structure – Ingénieur
Frédéric LABARRE – Expert Environnement et Pollution