Sécheresse : l’importance du caractère déterminant en expertise

Que l’on soit climato-convaincu ou sceptique (il en aurait encore ...), les faits et les chiffres sont têtus : les phénomènes de sècheresse se multiplient et s’amplifient ces dernières années. Les chiffres – dont ceux publiés par la CCR- sont éloquents : les montants indemnisés au titre de la garantie CNS sont en moyenne de 445 Millions d’euros par an entre 1995 et 2016 avec des pics à 1,8 Milliards en 2003 ou encore à 1,3 Milliards en 2018. Les prévisions sont alarmistes : un scénario de sècheresse extrême pourrait couter jusqu’à 2,6 Milliards par an ! Cette tendance oblige les acteurs de l’écosystème assurantiel à s’adapter, qui plus est dans un contexte réglementaire en évolution.

Une gestion du risque omnicanale & évolutive

Les médias s’en faisant l’écho, les assurés sont de plus en plus sensibilisés sur ces sujets et les redoutent. Ils manquent cependant d’informations pour mettre en place des mesures qui pourraient en limiter les effets (mise en place de géomembranes ou de trottoirs périphériques pour amenuiser les effets de l’évapotranspiration des sols, par exemple).

De nouveaux acteurs en matière de solutions réparatoires, d’études techniques et géotechniques, voire d’expertise, voient le jour. Les acteurs historiques, quant à eux, continuent de se développer et renforcent leurs moyens et compétences ainsi que l’efficience de leurs dispositifs.

Les experts en assurance ne dérogent pas à ce constat. Forts de leur expérience, ils ont adapté les services proposés pour gérer les dossiers sécheresse et ont évolué vers des réponses « augmentées ».  Si ces dernières sont propres à chaque cabinet d’expertise, elles s’articulent, pour les plus performantes, autour de solutions mixant réponse digitale, selfcare ou outils algorithmiques prédictifs complétant les interventions des experts spécialistes, en présentiel ou distanciel.

Le groupe Stelliant dispose d’un pôle sécheresse dédié composés de 120 experts formés à cette spécialité. Véritable hub de traitement, ce pôle prend en charge le client dès la réception de la mission. Un premier contact rapide d’explication de l’intervention de l’expert est effectué, puis le dossier est orienté vers un outil algorithmique « Predict+ » qui détermine avec 97 % de fiabilité les Cas 1. Selon sa nature, le dossier sera ensuite traité selon le mode le plus adapté : en visioconférence ou en présentiel sur site.

Ce dispositif permet faire face efficacement, aux pics d’activité qui suivent la publication au Journal Officiel des arrêtés.  Les délais sont maitrisés et chaque dossier, selon sa nature et les besoins spécifiques qui lui sont rattachés, bénéficie des compétences techniques et pédagogiques appropriées. Stelliant propose également une gamme de services associés personnalisés et modulaires, couvrant la gestion de sinistres, les études de sols, la réparation en nature (REN), grâce à ses filiales spécialisées ou par le biais de partenariats.

Prendre en compte la composante émotionnelle

Au-delà du mode de traitement, un double particularisme caractérise ces dossiers sécheresse :

  • Il s’agit d’abord et avant tout de sinistres que l’on peut qualifier de patrimoniaux car ils touchent souvent le bien immobilier familial qui constitue une part importante du patrimoine détenu. S’il est encore grevé par un emprunt, cette charge récurrente rend les désordres l’affectant encore plus sensibles, ce qui est plus que compréhensible. Ce premier point oblige l’expert à faire preuve d’une grande pédagogie et d’un professionnalisme encore accru.
  • En second lieu, la détermination de l’imputabilité causale des désordres est très technique et suit un processus complet et complexe.
    Il se doit d’être global : analytique, contextuel, touchant tant à l’examen des modes constructifs du bien concerné, de son environnement, de la nature des sols de portance, que des modifications intervenues de façon endogène et exogène sur ceux-ci. Mais il implique aussi l’étude de son environnement comme les écoulements d’eaux des fonds dominants, de fuites , de la présence d’éventuels systèmes racinaires dans le bulbe de compression des fondations, du respect de DTU divers et nombreux dès lors que leur non-respect peut être mis en cause dans l’apparition de ces désordres. Liste bien sûr très loin d’être exhaustive.

La complexité de cette détermination aboutit à une conclusion binaire sécheresse déterminante ou non du tassement différentiel .

La simple connexité chronologique entre les désordres et la période couverte par un arrêté constitue une condition nécessaire mais non suffisante. Dans le cas contraire, l’assureur multirisque DAB deviendrait de fait une sorte d’assureur « D.O. sécheresse » post garantie décennale et ad vitam, ce qu’il n’est évidemment pas.

L’examen du fait générateur de la sécheresse prend ici donc tout son sens et sa raison d’être dans la réflexion expertale.

Toutes les causes, ou cascades de causes, qui peuvent être révélées lors de ces épisodes mais ne sont pas déterminantes au sens de l’approche sécheresse évoquée ci-avant vont avoir pour conséquence la classification en cas 1 (non consécutif) et la conséquence qui en découle : absence de prise en charge par l’assureur de la réparation des désordres. Aussi, l’expert doit rester très méthodique et rigoureux dans les analyses et investigations qu’il va mener, sans jamais perdre de vue cet aspect déterminant de la cause dans la génération des désordres.
Dit plus simplement, à l’issue des investigations l’expert conclue soit :

  • Au caractère déterminant de la sécheresse alors même que des facteurs externes ont parfois été mis en évidence mais ne sont pas exonératoires de l’apparition des désordres. Il mène alors ses investigations pour évaluer le coût des désordres.
  • A un cas de figure où certains désordres sont causés par la sécheresse et d’autres non. Ceux dont le caractère causal de la sécheresse est reconnu seront pris en compte au contraire de ceux dont cela n’est pas le cas.
  • Au caractère non imputable de la sècheresse concernée. La sècheresse « révèle » mais n’est pas causale. Et ce potentiellement quand bien même le sol serait sensible.

Ces conclusions, lorsqu’elles aboutissent à un cas 1, peuvent surprendre l’assuré de bonne foi. En cas de connexité temporelle entre des désordres apparus et constatés par l’assuré et la période couverte par un arrêté CNS, les explications de l’expert sont très structurantes pour que l’assuré s’approprie les conclusions et les accepte, pour ne pas dire consente à ces dernières.

Lorsque la conclusion ne reconnaît pas la sécheresse comme déterminante, la bonne foi de l’assuré renforcée par le biais cognitif de confirmation présent chez chacun d’entre nous qui découle de la publication au JO d’un arrêté CNS qui « à ses yeux a force de loi » avant même l’intervention d’un expert crée potentiellement un effet déceptif fort. Comment donc ne pas comprendre la surprise et déception de l’assuré ?

L’expert doit faire preuve d’empathie vis-à-vis de l’assuré et d’une pédagogie sans faille dans ses explications, en particulier lors de ces conclusions non favorables.

Rappelons ici qu’entre 50 et jusqu’à plus de 60 % des déclarations instruites peuvent faire l’objet de classement sans suites, taux variant selon les années, les zones concernées et le nombre d’arrêtés antérieurs dans des délais récents.

Toute la sagacité et la pédagogie de l’expert, pour ne pas dire sa valeur ajoutée, réside donc dans sa capacité à éclairer de façon compréhensible la mécanique causale entre l’apparition des désordres et la (les) cause(s) identifiée(s). Le cas échéant, les facteurs exogènes doivent être mis en évidence ou, à défaut, l’absence des marqueurs caractéristiques de l’aspect causal de la sécheresse.

Ces constats s’inscrivent dans le contexte de la parution au J.O. d’un nouvel arrêté le 7 Mai , au titre de la sècheresse de 2020 mais avant une réforme annoncée (et attendue) du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Un contexte réglementaire en évolution et potentiellement impactant pour la charge sinistrale supportée par les assureurs.

Ci-après un rappel de quelques points marquant de la proposition de loi- actuellement en « navette » entre le parlement qui l’a votée en première lecture -et le sénat :

  • Mettre fin à l’opacité qui entoure la procédure de reconnaissance des catastrophes naturelles, dénoncée depuis plusieurs années par les élus locaux et les victimes. Les délais de procédure et d’indemnisation sont également revus et la prise en charge des sinistrés sécurisée.
  • Améliorer la transparence du processus décisionnel à l’égard des maires et des sinistrés. La décision ministérielle répondant à une demande de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle devra être motivée et mentionner les voies et délais de recours gracieux et de communication des rapports d’expertise ayant fondé la décision.
  • Nommer un « référent CAtNat » dans chaque préfecture pour informer et accompagner les communes dans leurs démarches relatives aux dispositifs d’aide et d’indemnisation existants après une catastrophe naturelle.
  • Les délais pour déclarer un sinistre et obtenir réparation sont revus :
    1. Le délai de dépôt d’un dossier de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle par les communes passe de 18 à 24 mois après la survenance de l’événement.
    2. Un délai d’un mois maximum est fixé à l’assureur entre la réception de la déclaration du sinistre – ou la date de publication de l’arrêté reconnaissant l’état de catastrophe naturelle – et l’information de l’assuré sur la mise en jeu des garanties et du lancement, si nécessaire, d’une expertise.
    3. L’assureur disposera également d’un mois à réception de l’état estimatif ou du rapport d’expertise pour proposer une indemnisation ou une réparation en nature. Il aura le même délai pour verser l’indemnisation à l’assuré ou missionner une entreprise pour réaliser les travaux. Au-delà de ce délai d’un mois, l’indemnisation portera intérêt au taux légal.
  • Les sinistrés seront mieux indemnisés. Les frais de relogement d’urgence seront intégrés à l’indemnisation. La modulation de franchise exercée par les assureurs, selon l’existence d’un plan de prévention des risques naturels (PPRN) dans les communes, est supprimée. Des mesures particulières concernent le risque sécheresse, dans le contexte du réchauffement climatique. Les assureurs devront prévoir une indemnisation suffisante lorsque les préjudices « liés aux mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse » menacent la solidité du bâtiment.
  • Dans un délai de six mois à compter de la publication de la loi, le gouvernement devra remettre au Parlement un rapport portant notamment sur les moyens de renforcer des constructions existantes dans un objectif de prévention des dommages causés par le retrait-gonflement des argiles et sur les possibilités de réformer le dispositif de franchise spécifique au risque sécheresse.

S’il est prématuré de tenter d’appréhender l’impact sur la charge sinistrale supportée par les assureurs, cette volonté affichée d’obliger à une « indemnisation suffisante » (et dont le libellé semble suffisamment équivoque pour occasionner des interprétations) risque bien de faire peser sur les assureurs des obligations allant au-delà de la réparation et dérivant vers la prévention des épisodes de sécheresses à venir. Quid du principe assuranciel de l’aléa le cas échéant ? Le risque de dérive est réel.

A cette aune, quid de la responsabilité de certains constructeurs ou de celle de maitres d’ouvrage qui ne tiennent pas toujours compte du risque sécheresse pour se prémunir de ses désordres pour des raisons de coûts et de fait et se reposent sur l’assureur pour en assumer la charge en cas de désordres ?

Ne faudrait-il pas aussi, dans le même temps, imposer dans les règles d’urbanisme des obligations en rapport, pesant sur les terrains constructibles avec sols sensibles quand bien même leur surcoût excède aujourd’hui ce qui est autorisé par la loi ?

Cette réforme, engendrera des effets dont il est prématuré à ce stade de mesurer les effets , et ce jusqu’à son vote dans sa forme finale .
Quoi qu’il en soit le caractère causal restera le critère qui fait basculer vers la prise en compte ou non par l’assureur de la réparation des désordres. En tous cas si cela n’évolue pas dans le texte final.

Cette complexité de la mise en évidence du caractère déterminant de la sécheresse semble donc devoir avoir encore cours et constitue tout l’intérêt du métier d’expert. Il le responsabilise au regard des enjeux dont l’arbitrage, en termes de prise en charge ou non par un assureur, l’oblige à l’objectivité, la compétence et une pédagogie toutes particulières.

Didier Richert

Directeur Risque des Particuliers

[1]  Données CCR : Caisse Centrale de Réassurance

[2] JO : Journal Officiel

[3]  G Bronner Apocalype cognitive PUF ; ou O Syboni

Ces articles pourraient également vous intéresser